A en croire les résultats d’une étude réalisée par François Muhashy HABIYAREMYE (2020), les écosystèmes qui constituent les secteurs du Sud et du Centre du (PNVi) ainsi que leur biodiversité extraordinaire, confèrent à cette contrée un énorme potentiel de services.
WWW (2013) précise que la valeur de diverses fonctions assurées par le PNVi dans son ensemble pourrait atteindre et même dépasser 1,1.10⁹$ américains par an. Et souligne que cela ne serait possible que si les pressions qui sont exercées sur ce parc s’atténuent significativement.
Selon toujours les résultats de l’étude de François Muhashy HABIYAREMYE (2020), les gestionnaires du PNVi essayent de fournir des possibilités d’accès à des revenus alternatifs à ceux tirés des ressources surexploitées mais les résultats restent très limités.
Voici la présentation de quelques actions plus concrètes, des indications sur les revenus qui en découlent si connus et de brèves suggestions de cet auteur pour renforcer l’appropriation de ces initiatives.
L’hydroélectricité
Une première centrale hydroélectrique a été créée à Matebe. Elle a une capacité globale de 13,6 mégawatts. L’électricité « est déjà distribuée dans les groupements de Kisigari et Rugari ainsi que dans les cités de Rutshuru et Kiwanja.
Une nouvelle ligne est tirée vers la ville de Goma, la capitale provinciale, où un peu plus de 5 mégawatts doivent être écoulés ». Malheureusement, cette énergie s’avère hors portée pour la majorité des ménages de la région.
Le revenu annuel moyen est d’à peu près 700$ /habitant ; or il faut « d’abord débourser 223$ américains » rien que pour se connecter au réseau, puis rester capable de payer ses consommations et subvenir à ses autres besoins !
Du fait que ce coût est très difficile à assumer, le bois demeure de loin la principale source d’énergie consommée par les ménages. Certes la centaine d’emplois permanents pourvus par l’hydroélectricité de Matebe n’est pas négligeable.
Cependant, même si les postes étaient attribués majoritairement aux personnes natives de la chefferie du Bwisha, ce qui n’est pas le cas, cela n’augmenterait pas significativement le revenu général des habitants.
Il y a un espoir que la disponibilité de l’électricité indispensable pour faire fonctionner des entreprises accroîtra leur création et leurs possibilités d’embauchage. En outre, Il est nécessaire de développer l’hydroélectricité ailleurs dans le voisinage du parc, notamment sur la rivière Mweso dont la chute de Binza offre un potentiel de 5MW.
Le tourisme
Le « revenu généré pour l’ICCN par ce secteur a diminué « d’une moyenne de 500.000$ américains par an au début des années 1990 jusque pratiquement zéro dollar » (BASHIGE, 2004).
Cette situation due à la dégradation des infrastructures du parc et à des guerres récurrentes est en train de changer peu à peu ; le tourisme a repris timidement, une forte sécurisation requise pour les visites est assurée. Du coup, des recettes deviennent de nouveau possibles. Les données obtenues de l’ICCN pour l’année 2016 indiquent un total de 10.554 touristes, alors que seules six destinations sont restées ouvertes au niveau des secteurs du Sud et du Centre du parc ; les axes Canzu (Jomba), Kibumba et Rwindi n’ont pas été exploités.
En plus des montants payés pour le logement, dont le plus cher est de 475$/ couple, et la nourriture et les achats divers que ces personnes ont effectués dans la zone, plusieurs millions de dollars sont générés directement par les visites. Cette estimation se base sur le fait qu’un visa touristique valide pour 14 jours coûte 100$/personne, qu’une visite des gorilles revient à 400$ /touriste et que des cinéastes professionnels attirés par les merveilles du parc paient des montants beaucoup plus élevés.
Ces recettes sont encore très basses et loin de correspondre au gigantesque potentiel du tourisme dans cette zone.
Le PNVi, qui figure sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1979, devrait générer des revenus démultipliés grâce à sa faune et à sa flore très riches, à ses animaux endémiques, notamment le gorille de montagne (Gorilla gorilla beringei) et ses paysages des « monts de la lune ».
L’objectif doit être d’atteindre la juste part des gains générés par le gigantesque marché de l’éco-tourisme à l’échelle globale. l’auteur signale à titre indicatif qu’en 2016 ce secteur représentait 1.220⁹$ américains, soit une moyenne journalière de 3,34.10⁹$. Par ailleurs, selon toujours cet auteur, il faut aussi relever simultanément les défis ci-après.
Assurer une meilleure affectation des revenus tirés de l’écotourisme
Suivant la clé actuelle de répartition du revenu de permis de visite, 50% reviennent à la DG de l’ICCN, 20% au PNVi et 30% aux populations locales.
Il est souhaitable que dans un premier temps la plus grande partie de ce revenu puisse être affectée prioritairement à la création et/ou réhabilitation des infrastructures du parc, à la formation de son personnel, à la surveillance et à l’amélioration des conditions de vie des populations riveraines.
Pour le moment quelques écoles ont été construites, il y a des efforts pour aménager des adductions d’eau et appuyer des ONGs locales, etc., mais la misère ne s’est pas atténuée réellement ; or c’est surtout cette pauvreté extrême qui pousse au braconnage et au défrichement dans ce parc.
L’approche de conservation conjointe devrait être appliquée afin de garantir une grande implication des bénéficiaires des projets et d’assurer une réelle cogestion de ces derniers au lieu de s’inspirer des priorités qui sont généralement identifiées du haut vers le bas.
Pacifier l’Est de la R. D. Congo
C’est une condition majeure du développement du secteur écotouristique. Il existe actuellement quatre principales catégories de menaces résultant du déficit d’une gouvernance caractérisée par la perpétuation de l’état de guerre depuis 1993 :
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Des concessions pétrolières au sein du parc
La bataille contre les multinationales impliquées n’est pas encore gagnée malgré l’appui de l’UNESCO et de l’IUCN.
La concession V, attribué à SOCO qui représente 51,6% de la totalité des blocs de terres ciblées au sein du parc s’étend quasiment sur l’entièreté de ces secteurs du Sud et du Centre ;
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Une multitude de groupes armés qui s’adonnent au pillage
Le parc dispose d’environ quatre centaines de commandos bien entrainés et équipés qui, assez souvent au prix de leur vie, affrontent en permanence ces bandits mais sans venir à bout de cette situation.
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Les populations déplacées par des guerres
Elles sont concentrées dans le voisinage du PNVi et /ou empiètent ses limites. Il y avait 600.000 personnes dans cette situation en 2016. Elles aspirent au retour dans leurs villages quand la région sera réellement pacifiée.
C’est une condition primordiale pour l’atténuation des pressions qui s’exercent sur ce parc.
Des pasteurs en provenance des pays voisins
La pêche
Selon, cet auteur, le tilapia est le poisson le plus pêché, les plus vendu et le plus consommé.
Dans la zone qui intéressait l’auteur, la pêcherie de Vitshumbi, qui est la plus grande du PNVi, et celle de Nyakakoma, où cette activité est exercée légalement, sont localisées sur la rive Sud du lac Edouard, dans le territoire de Rutshuru.
Toutefois, il existe de très nombreux points de pêche illégale. Ce braconnage qui se pratique même dans les frayères a accentué la chute de la production du poisson. La surpêche est effectuée alors que les populations de poissons sont déjà en déclin, du fait de la perturbation de la chaîne trophique dont la faune ichtyologique fait partie.
En effet, ceux qui restent des hippopotames massacrés ne produisent plus assez de crottin pour le développement d’un phytoplancton microscopique qui nourrit des vers et des larves, qui servaient à leur tour d’aliment pour le tilapia !
Les produits forestiers non ligneux
L’accès aux ressources globalement reconnues comme des « commodités critiques » est autorisé. Ces ressources incluent l’eau de sources, du bois mort, des PFNLs (champignons, plantes médicinales, miel, etc.).
L’approvisionnement en viande sauvage est prohibé. Cet accès est contrôlé. Le prélèvement des PFNL se fait deux fois par semaine dans des zones précises, notamment sur l’axe Kanyabayonga – Tongo.
Pour des raisons de sécurité, les populations qui entrent dans le PNVi à la recherche de ces produits sont parfois accompagnées par des gardes. Le conservateur communautaire supervise ce prélèvement afin d’éviter des excès qui occasionneraient des dommages à l’écosystème.
Parmi la gamme des PFNLs légalement accessibles à la population, les champignons et le miel sont probablement les plus prisés.
Les champignons
La phénologie et la productivité des champignons sauvages comestibles étant étroitement tributaires des précipitations, la disponibilité de cette ressource reste saisonnière, aléatoire et insuffisante. Ainsi donc, même si la cueillette des champignons est règlementée, le risque de leur surexploitation n’est pas écarté. C’est pourquoi, dans le but de pallier cette éventualité, les gestionnaires du parc appuient l’exécution du projet de production des pleurotes exotiques à Rumangabo.
Tout en adhérant à cette initiative, les riverains du PNVi indiquent qu’ils préfèrent les champignons sauvages, surtout en raison leur saveur meilleure à celle des produits de la myciculture basée sur des spores importées.
Par ailleurs, la myciculture appuyée par l’ICCN tarde à contribuer concrètement à la création d’emplois. C’est pourquoi, les riverains du parc expriment continuellement des besoins pressants, à titre individuel ou dans le cadre de leurs ONGs ((AFAPRO, CKM, IDPE, EDEV, GHVDC, LJPEF, LSC, RIAAK, …), en vue d’identifier et de promouvoir les champignons sauvages à potentiel alimentaire et d’être formés à la domestication de ces organismes.
Pour rencontrer cette demande il faut des capacités scientifiques, techniques et matérielles ad hoc ; or tout cela est loin d’être au point et nécessite de fortes synergies avec des institutions scientifiques locales et internationales.
Dans ce contexte, le partenariat entre l’ICCN et l’IRSNB(Institut royal des Sciences naturelles de Belgique) depuis 2007, qui a été focalisé sur le monitoring des habitats et l’évaluation des services écosystémiques, plus particulièrement sur la valorisation des champignons comestibles, a abouti à la mise en place d’un réseau des mycologues de la région des Grands Lacs d’Afrique; ce qui constitue un très grand atout.
Ce réseau qui a également bénéficié de l’appui scientifique du Jardin Botanique Meise et des financements de la DGD et BELSPO constitue le socle d’un projet de « Mycologie et développement dans la Région des Grands Lacs : approche raisonnée et filières de production ex-situ de champignons comestibles, une alternative économique additionnelle à l’exploitation des aires protégées ».
Sous la coordination conjointe de l’Université Catholique de Louvain et l’UNIGOM où un laboratoire de mycologie est implanté depuis 2018, ce projet développera une filière de production de champignons sauvages issus du PNVi, sélectionnés sur base de critères de qualité nutritionnelle, de rendement, de l’appropriation, de la viabilité économique et dont les conditions de production sont maitrisées.
La stratégie de transfert mise sur les représentants des bénéficiaires, surtout leurs ONGs. Le projet ayant été conçu à la demande de ces dernières et avec leur concours, elles en assureront les relais des résultats, notamment à travers des groupes informels qui communiqueront les retombées en termes d’aliments, d’emplois et de revenus ; ce qui garantit l’appropriation.
Le miel
Des investigations auxquelles nous avons contribué bien avant le présent travail (HABUMUGISHA et al. 2013) en impliquant 50 apiculteurs du groupement de Rugari avaient montré que beaucoup d’entre eux connaissaient le rôle des abeilles au-delà de la production du miel. Ils savent que lorsque ces insectes butinent les fleurs des plantes sauvages ou cultivées, ils assurent la pollinisation de ces dernières, tout en se nourrissant et en emportant du nectar dont ils produiront du miel.
Nous avons constaté qu’en plus de l’agriculture de subsistance qu’il pratiquait, un apiculteur récoltait jusqu’à 100 litres de miel par an, pouvant lui générer 500$ américains annuellement. Cette activité peut donc contribuer à atténuer la pauvreté.
D’autres orientations non exhaustives pour alléger des pressions sur le PNVi
- Augmenter à l’extérieur du parc des plantations d’arbres et autres plantes très employés, notamment le bambou ;
- Mieux promouvoir l’amélioration des pratiques culturales. Dans la mesure où cela permettrait d’augmenter la production sans nécessiter de nouvelles surfaces agricoles, on évoluerait vers moins de déforestation (HABIYAREMYE et al. 2003) ;
- Tendre vers l’obtention d’une rétribution équitable des gains correspondant aux services rendus par la biodiversité.
L’évolution vers l’attribution d’une contre-valeur financière aux services fournis par la nature, entre autres par des crédits carbone (TOLLEFSON 2013) et la comptabilité des richesses résultant de la bioprospection semble décisive.
Selon la Convention sur la Diversité Biodiversité, il faut que « tous les pays signataires puissent partager à la fois les efforts et les bénéfices de la conservation des biens et services fournis par la biosphère » (AUBERTIN, 2002 ; MCCAULEY, 2006).
La biodiversité des écosystèmes générait un PIB de l’ordre de 35.000.10⁹$ américains dès le début du 21ème siècle, soit l’équivalent de celui qui résulte de l’activité humaine. La R. D. Congo, en particulier les riverains du PNVi qui sont en « gardiens » ont donc tout intérêt de préserver ce patrimoine.
Joel MUBAKE
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