Les lacs Monoun et Nyos, deux écosystèmes situés sur l’alignement volcanique du Cameroun, ont connus un phénomène d’explosion inédit, respectivement en date du 15 août 1984 au lac Monoun et le 21 août 1986 au lac Nyos, causant la mort de 37 et 1746 personnes suite à des émanations gazeuses.
Malgré les résultats pertinents qui ont précédé l’installation de dispositif de dégazage, et faute d’une réelle promotion des résultats scientifiques, la société camerounaise et particulièrement les autochtones sont restés jusqu’ici très divisés sur les origines du gaz. Pour les uns, il s’agirait des effets d’une bombe et pour d’autres, d’un phénomène mystique associé à la religion.
En clair, le fossé qui existe entre sciences, scientifiques et sociétés est bien perceptible.
En s’appuyant sur les catastrophes meurtrières de ces deux lacs, Paul-Alain NANA, enseignant chercheur au Département d’Océanographie à l’Institut des Sciences Halieutiques (ISH) de l’Université de Douala à Yabassi au Cameroun et Moïse NOLA professeur titulaire au Laboratoire d’Hydrobiologie et Environnement de la Faculté des Sciences à l’Université de Yaoundé I au Cameroun, ont réalisé une présentation de la fracture qui existe entre la science et les sociétés africaines encore ancrées dans les croyances autochtones dans l’article intitulé « Lacs Monoun et Nyos au Cameroun : quand la nature, la science et les pensées autochtones africaines se confrontent », publié en 2021.
Ce travail présente l’intérêt d’une vulgarisation des résultats scientifiques au sein d’un peuple encore très attaché à ses valeurs culturelles.
A travers plusieurs entretiens avec les survivants et autochtones de Nyos et Monoun mais aussi la recherche bibliographique, les chercheurs ont arrivé aux résultats suivants :
Faits scientifiques élucidant le « mystère » des catastrophes de Monoun et Nyos
Ces deux lacs sont des cratères volcaniques formés lors d’éruptions où, lors de son ascension, le magma a rencontré des nappes phréatiques profondes.
Ces deux lacs sont des cratères volcaniques formés lors d’éruptions où, lors de son ascension, le magma a rencontré des nappes phréatiques profondes.
Si un évènement (glissement de terrain dans le lac ou perturbation volcanique) se produit et détruit l’équilibre établi, l’eau des parties profondes du lac est remontée vers la surface, ce qui provoque l’exsolution du gaz (sortie des gaz du liquide).
Il se développe alors une « éruption » gazeuse libérant une grande quantité de gaz toxique dans l’atmosphère.
Une autre composante, non négligeable dont le rôle mérite d’être mentionné, est la communauté microbienne qui peuple ces lacs. Les résultats des analyses métagénomiques, mettent en lumière une large diversité de microorganismes tout au long de la colonne d’eau stratifiée.
Les groupes majoritaires sont entre autres les Gammaproteobacteria, les Actinobacteria, les Firmicutes, les (Nana et al, 2020). Ces microorganismes participent au maintien de la zone dépourvue d’oxygène en produisant notamment du méthane.
La microscopie électronique à transmission et la technique de la cytométrie en flux ont permis de mettre en évidence des virus le long des colonnes d’eau des lacs.
Les virus phages jouent un rôle déterminant (qualitativement et quantitativement) dans le contrôle des communautés bactériennes par leur abondance, leur diversité et leur impact sur la mortalité et la distribution des procaryotes (Rodriguez-Valera et al., 2012 et Lauro, F.M. et al., 2011).
Cependant, la matière organique des hôtes lysés n’est pas transférée aux niveaux supérieurs du réseau trophique, mais est recyclée dans la fraction dissoute et à nouveau disponible pour l’activité bactérienne, d’où le concept de shunt-viral » (« court-circuit » de la boucle microbienne) ou de boucle virale, ce qui confère aux virus un rôle clé dans les cycles biogéochimiques et le recyclage des éléments (Weinbauer, M.G. et al., 2011 et Sime-Ngando, T., 2014).
Pour le cas des lacs Monoun et Nyos, ce processus serait responsable du détournement d’une quantité considérable du flux de carbone initialement photo-synthétisé, allant vers les consommateurs secondaires.
Les résultats et progrès scientifiques méritent d’être vulgarisés afin que les communautés comprennent mieux l’importance de la science et de la technologie dans tous les domaines de la vie et dans leur quotidien, insistent les auteurs.
Fracture entre sciences et société
Sur le continent noir, les populations ont difficilement accès aux savoirs scientifiques et dans toutes les disciplines (sciences dures, sciences sociales, sciences fondamentales, sciences économiques et politiques, médecine, etc…). Ceci s’explique par un certain nombre de facteurs.
La plupart des pays en Afrique subsaharienne sont dépourvus d’institutions pérennes dédiées à la diffusion des données et résultats scientifiques comme des musées ou centres de diffusion.
De plus, il n’y a que peu d’associations ou de médias spécialisés dans ce domaine. Les quelques structures existantes manquent de moyens, d’expérience, de professionnalisme et de soutien institutionnel.
Par ailleurs, les producteurs de sciences ou de technologies que sont les universités, les organismes de recherche et les chercheurs indépendants se lancent rarement dans des actions de communication vers le grand public (foires, expositions scientifiques, grandes campagnes de communications scientifiques…).
De surcroît, d’après Sabrié, M.-L., 2010, « les médias apparaissent peu comme des vecteurs d’information scientifique auprès des populations, et les revues de vulgarisation sont quasi inexistantes ».
Enfin, même en faisant abstraction des taux d’analphabétisme plus élevés qu’ailleurs sur le continent africain, l’école et les universités ne s’affirment pas comme le moyen privilégié de transmission des connaissances scientifiques. Souvent cantonnées à des enseignements académiques, en sureffectif et dépourvues de ressources pédagogiques modernes (laboratoires sous-équipés et vétustes, voire même inexistants), les écoles et universités africaines sont, en général, peu attractives.
Ainsi, pour toutes ces raisons, par manque de médiateurs et d’outils de médiation, un important fossé existe dans cette partie du monde entre la science et la société, entre une élite qui a accès à la culture scientifique et ceux très nombreux qui ne peuvent bénéficier des connaissances qu’elle produit. Cet éloignement entre les sciences et les peuples autochtones contribue de façon significative à l’ancrage de la société africaine dans les mythes et croyances ancestrales, qui se perpétuent de générations en générations jusqu’à aujourd’hui.
Nécessité d’une vulgarisation et d’une alphabétisation scientifique
De ce qui précède, selon les auteurs, Bien utilisée, la science peut améliorer la qualité de la vie humaine, puisque c’est d’elle que proviennent les connaissances nécessaires à la résolution des problèmes qui détériorent cette qualité.
D’après Solomon, J., 1994, la science est présentée comme supérieure, utile et salutaire, lorsqu’elle est vulgarisée et appliquée à bon escient. Cependant, faute de vulgarisation, ce n’est plus la science des citoyens, mais la science d’une élite minoritaire qui est capable de proposer, voire d’imposer des remèdes à nos maux.
D’après le Prince Dika-Akwa et Nya, B., 1982 « le chercheur africain et le chercheur occidental de l’époque de la décolonisation ne sauraient avoir la prétention d’avancer la science dans la connaissance de l’Afrique, s’ils continuent à ignorer l’expérience propre à l’Afrique, les racines socio-épistémologiques de son savoir spécifique, la logique interne qui sous-tend le développement de ses sociétés et l’indissociabilité des phases « traditionnelles » et « modernes » de celle-ci ».
En conclusion, les auteurs pensent qu’il est temps que la recherche en Afrique noire sorte de sa torpeur sociologique.
Joël MUBAKE